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Effets de l’avis de fin d’information sur le cours de la prescription et réforme de la prescription

Pénal - Procédure pénale
08/04/2019
Confirmant l’analyse de la cour d’appel, la chambre criminelle jongle entre les deux effets de l’avis de fin d’information sur le cours de la prescription de l’action publique et l’entrée en vigueur de la réforme opérée par la loi du 27 février 2017.
Dans le cadre d’une instruction ouverte des chefs d’abus de biens sociaux et recel, non justification de ressources, blanchiment, manquement aux obligations déclaratives, travail dissimulé et exercice de l’activité d’agent sportif sans licence valable, deux hommes sont mis en examen. En novembre 2013, le juge d’instruction notifie aux parties les avis de fin d’information.
En février 2014, le procureur de la République prend un réquisitoire définitif. En septembre 2014, le juge d’instruction rend une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non-lieu partiel, ainsi que des ordonnances de maintien sous contrôle judiciaire.
La loi du 27 février 2017, portant réforme de la prescription, entre en vigueur le 1er mars 2017 (L. n° 2017-242, 27 févr. 2017, JO 28 févr. ; voir not. Réforme de la prescription pénale : nouveaux délais et application de la loi dans le temps, Actualité du droit, 1er mars 2017).
Par jugement rendu en mars 2017, le tribunal correctionnel annule l’ordonnance de renvoi et de non-lieu partiel. Par un arrêt rendu en novembre 2017, rectifié en décembre de la même année, la chambre de l’instruction annule le réquisitoire définitif, ainsi que les ordonnances de maintien sous contrôle judiciaire.
En décembre 2017 et janvier 2018, le juge d’instruction est saisi de requêtes sur le fondement de l’article 82-3 du Code de procédure pénale, tendant à ce que soit constatée la prescription de l’action publique. Par une ordonnance rendue en février 2018, les juges d’instruction disent n’y avoir lieu de constater l’extinction de l’action publique par acquisition de la prescription, s’agissant d’infractions soumises à la prescription de droit commun des délits.
Les personnes mises en examen interjettent appel de la décision.
 
En mai 2018, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rouen confirme cette ordonnance.
Elle estime d’abord que c'est n'est aucunement des termes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse mais bien de la lettre, elle matériellement universelle, des dispositions de l'article 175 du Code de procédure pénale que s'évincent, en l'état du droit procédural applicable à la date de l’avis de fin d’information (6 nov. 2013), tout à la fois cause d'interruption (s'agissant d'une étape effective dans l'avancement des poursuites concernées) et cause de suspension (le parachèvement des formalités de clôture devenant nécessaire pour qu'une juridiction du fond puisse être éventuellement saisie) de la prescription par l'effet de la communication de la procédure au ministère public par le magistrat instructeur aux fins de règlement.
 
La chambre de l’instruction rappelle ensuite que les avis de fin d'information délivrés aux parties le 6 novembre 2013, en application de l'article 175 du Code de procédure pénale sont interruptifs de prescription Cass. crim., 11 janv. 2000, n° 98-86.269, Bull. crim., n° 12 ; C. pr. pén., art. 9-2, 3°, issu de la loi du 27 févr. 2017, précitée). Le délai de prescription de l'action publique était alors effectivement de trois années révolues.
S’agissant d’éventuels actes interruptifs, elle relève que le réquisitoire définitif du procureur de la République, l'ordonnance aux fins de renvoi devant le tribunal correctionnel et de non-lieu partiel et les ordonnances de maintien sous contrôle judiciaire ont tous été annulées. Il est donc exact qu’ils ne pouvaient dès lors plus interrompre le délai de prescription.

Néanmoins, la prescription de l'action publique est suspendue lorsqu'un obstacle de droit met la partie poursuivante dans l'impossibilité de mettre en mouvement ou d'exercer l'action publique (jurisprudence constante. Voir not. Cass. ass. plén., 23 déc. 1999, n° 99-86.298, Bull. ass. plén., n° 9 ; Cass. crim., 6 févr. 2007, n° 06-88.713, Bull. crim., n° 31 ; C. pr. pén., art. 9-3, issu de la loi du 27 févr. 2017, précitée).
Or, le délai prévu par l'article 175 du Code de procédure pénale doit être considéré comme un obstacle de droit pendant lequel la prescription de l'action publique est suspendue (voir not. Cass. crim., 25 oct. 2011, n° 11-80.017, Bull. crim., n° 218 ; Cass. crim., 8 avr. 2014, n° 13-81.808).
Pour la chambre de l’instruction, cette cause de suspension du délai de prescription de l'action publique paraît applicable à tout cas d'espèce, dans la mesure où les délais prévus par l'article 175 du Code de procédure pénale placent le ministère public dans l'impossibilité de droit de se substituer au juge d'instruction pour prendre, le cas échéant, un acte juridictionnel relevant de la compétence unique de ce dernier. Dans ce cadre, il peu importe que l’une quelconque des parties intéressées à la poursuite ait pu régulariser des écritures pendant le cours des formalités de règlement : elle ne pouvait pas ainsi obtenir saisine prématurée du juge qu'elle espérait, ce qui a suffi à bien emporter obstacle rendant impossible la mise en mouvement ou l'exercice effectif de l'action publique.

En l'espèce nul n'était plus détenu lorsque le présent dossier a fait l'objet d'une telle communication aux fins de règlement, il s’avère donc que le délai de parachèvement était légalement de quatre mois. Dans les circonstances de la cause, la prescription de l'action publique a donc été suspendue pendant un délai de 4 mois (délai initial de trois mois auquel s'ajoute un délai d'un mois aux fins de réquisitions et observations complémentaires), soit jusqu'au 6 mars 2014. Le point de départ du délai de prescription triennale devait donc être reporté au 6 mars 2014.
 
Mais moins de trois ans et quatre mois s’étant écoulés entre la notification de l’avis de fin d’information et la date l’entrée en vigueur de la loi du 27 février 2017, le 1er mars 2017, immédiatement applicables aux affaires en cours. Or, en l’espèce, au 1er mars 2017, la prescription de l'action publique n'était pas acquise au sens de l'article 112-2, 4° du Code pénal. Dès lors à compter de cette date et conformément à l'article 8, alinéa 1er, modifié, du Code de procédure pénale, le délai de prescription de l’action était donc de six années révolues.
Il résulte de ce qui précède qu'au moment où la cour statue, les infractions pour lesquelles les protagonistes ont été mis en examen n'étaient pas prescrites et qu'il y avait donc lieu en conséquence de rejeter les demandes présentées.
 
Les deux personnes mises en examen forment un pourvoi en cassation. La Chambre criminelle valide le raisonnement des juges du fond et estime que la chambre de l’instruction a fait « l’exacte application des textes visés au moyen ». En effet, d’une part, la prescription de l’action publique est interrompue par l’avis de fin d’information donné par le juge d’instruction aux parties, en application de l’article 175 du Code de procédure pénale  et, d’autre part, la prescription de l’action publique est suspendue pendant les délais prévus audit article, le juge d’instruction estimant l’information achevée.
 
On notera que les demandeurs au pourvoi invoquaient également une violation des articles 199 et 216 du Code de procédure pénale, en ce que l’arrêt ne mentionnait pas le nom du conseiller ayant accompli la formalité du rapport. La Chambre criminelle de la Cour de cassation écarte ce moyen. Ceci, dès lors qu’il résulte des mentions de l’arrêt qu'un rapport a été présenté par un conseiller, que ce sont les mêmes magistrats qui ont participé aux débats et au délibéré, et que l'arrêt a été lu par l'un d'eux, en application des articles 199 et 216 du Code de procédure pénale, qui n’exigent pas que l’arrêt précise le nom du conseiller qui a accompli la formalité du rapport.
Source : Actualités du droit