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Remboursement des frais irrépétibles de la personne citée comme civilement responsable devant les juridictions pénales

Pénal - Procédure pénale
05/04/2019
L’impossibilité, pour la personne citée comme civilement responsable, mais mise hors de cause, d’obtenir le remboursement des frais lorsque la personne poursuivie a été condamnée, est-elle contraire à la Constitution ? Le Conseil constitutionnel censure, avec report, l’article 800-2 du Code de procédure pénale.
En janvier 2019, la Chambre criminelle de la Cour de cassation avait décidé de renvoyer au Conseil constitutionnel une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), réduite aux interrogations sur la conformité de l’article 800-2 du Code de procédure pénale (Cass. crim., 15 janv. 2019, n° 18-90.031 ; sur les autres aspects de la QPC, voir infra). Pour la Cour, la question posée relativement à ce texte, présentait un caractère sérieux en ce que l'impossibilité, pour une personne citée comme civilement responsable devant la juridiction pénale, d'obtenir une indemnité au titre des frais exposés pour sa défense, dans le cas où elle serait mise hors de cause, alors que la personne poursuivie ferait l'objet d'une condamnation, était de nature à porter atteinte à l'équilibre des droits des parties dans le procès pénal.
 
Le Conseil constitutionnel reprend d’abord les termes des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789. Il rappelle ensuite que si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s'appliquent, c'est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l'existence d'une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties.

Mais si aucune exigence constitutionnelle n'impose qu'une partie au procès puisse obtenir du perdant le remboursement des frais qu'elle a exposés en vue de l'instance la faculté d'un tel remboursement affecte l'exercice du droit d'agir en justice et les droits de la défense.
 
Or, il s’avère, en application des articles 375 et 475-1 du Code de procédure pénale, qu’une juridiction de jugement peut condamner l'auteur de l'infraction à payer à la partie civile la somme qu'elle détermine, au titre des frais non payés par l'État et exposés par celle-ci pour sa défense.
De plus, l'article 800-2 du Code de procédure pénale permet à la juridiction de jugement prononçant une décision de relaxe ou d'acquittement d'accorder à la personne poursuivie pénalement ou civilement responsable une indemnité, supportée par l'État ou la partie civile, au titre des frais non payés par l'État et exposés par cette personne pour sa défense.

En revanche, lorsque la personne poursuivie a été condamnée, ni ces dispositions, ni aucune autre, ne permettent à la personne citée comme civilement responsable d'obtenir devant la juridiction pénale le remboursement de tels frais, alors même qu'elle a été mise hors de cause.
Dans ces conditions, les dispositions du premier alinéa de l'article 800-2 du Code de procédure pénale portent atteinte à l'équilibre du droit des parties dans le procès pénal. Par conséquent, elles doivent être déclarées contraires à la Constitution.
 
Cependant, l'abrogation immédiate des dispositions contestées aurait pour effet de supprimer le droit reconnu à la personne poursuivie et à la personne civilement responsable de se voir accorder des frais irrépétibles en cas de non-lieu, de relaxe, d'acquittement ou de toute décision autre qu'une condamnation ou une déclaration d'irresponsabilité pénale. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives. Afin de permettre au législateur de remédier à l'inconstitutionnalité constatée, il y a lieu de reporter la date de l'abrogation au 31 mars 2020.
 


Pour mémoire, la QPC était ainsi rédigée : « Les articles 470, 472 et 800-2 du Code de procédure pénale, en ce qu'ils interdisent ou sont susceptibles d'interdire à une personne citée directement devant le tribunal correctionnel par une partie civile, en sa prétendue qualité de civilement responsable, de solliciter, dans le cadre de l'instance où elle est ainsi attraite et dans l'hypothèse de sa mise hors de cause, la condamnation de cette partie civile au paiement de dommages-intérêts ainsi que des frais non payés par l'État et exposés pour les besoins de sa défense, portent-ils atteinte au droit à une procédure juste et équitable garantissant l'équilibre des droits des parties, fondé sur les articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ? ».

Mais la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 15 janv. 2019, n° 18-90.031) avait estimé ne pas devoir transmettre les interrogations relatives à l’article 470 du Code de procédure pénale.
Ceci, au motif qu’il ne pouvait être considéré comme applicable à la procédure en cause : le texte se borne en effet à prévoir les conditions préalables à l'application de l'article 472 du même code, en définissant les cas dans lesquels une juridiction pénale peut relaxer un prévenu. Or, en l’espèce, ce point n'était pas contesté en lui-même et aucune demande n'avait été formée par les parties requérantes sur ce fondement.

Le champ de la QPC était également allégé des interrogations sur l’article 472 du Code de procédure pénale. Bien qu’applicable à la procédure et n’ayant jamais fait l’objet d’un examen de constitutionnalité, la question ne posait, selon la Cour de cassation, pas de caractère sérieux. Ceci, d'une part, dès lors la personne, citée abusivement comme civilement responsable, par une partie civile devant une juridiction pénale, ne se trouve pas dans la même situation qu'une personne relaxée après avoir été mise en cause devant la juridiction pénale par une partie civile qui a mis l'action publique en mouvement.
Et, d’autre part, dès lors que la personne citée comme civilement responsable dispose de la faculté de rechercher, devant la juridiction civile et sur le fondement de l'article 1240 du Code civil, l'éventuelle responsabilité de la partie civile qui l'a citée devant la juridiction pénale. Et, ce, que l'action publique ait été mise en mouvement par la partie civile ou par le ministère public.
Ainsi, au regard de l'objet de l'article 472, qui tend, comme l'article 392-1, dernier alinéa du Code de procédure pénale, à sanctionner tout abus dans la mise en mouvement de l'action publique par une partie civile, le fait de réserver à la personne poursuivie puis relaxée, la faculté de demander à la juridiction pénale réparation du préjudice que lui a causé cet abus et d'en exclure, par voie de conséquence, toute personne dont la mise en mouvement de l'action publique n'implique pas nécessairement la mise en cause, n'est pas de nature à porter atteinte à l'équilibre entre les parties au procès pénal.
Source : Actualités du droit