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Prolongation de détention provisoire de plein droit : entre règles dérogatoires et droit commun …

Pénal - Procédure pénale, Peines et droit pénitentiaire
07/10/2020
La Cour de cassation a affirmé dans un arrêt du 29 septembre que l’ordonnance du 25 mars 2020 adaptant les règles de procédure pénale pour faire face à la crise sanitaire ne saurait s’interpréter comme faisant obstacle à l’exercice de ses compétences par le JLD en matière de prolongation de détention provisoire.  Explications. 
Un homme est mis en examen et placé en détention provisoire le 18 avril 2018. Saisi par ordonnance du juge d’instruction en date du 12 mars 2020, le JLD ordonne la prolongation de la détention pour une durée de six mois, après débat contradictoire, le 31 mars 2020. Le détenu interjette appel de cette ordonnance.
 
La chambre de l’instruction infirme l’ordonnance. Elle note que selon les articles 15 et 16 de l’ordonnance du 23 mars 2020 (v. Ord. n° 2020-303, 25 mars 2020, JO 26 mars, v. Covid-19 : ce que prévoit l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 25 mars 2020) adaptant la procédure pénale à la crise sanitaire, les détentions provisoires en cours à la date de publication de ce texte et jusqu’à la fin de l’état d’urgence « sont de plein droit prolongées de six mois en matière criminelle ».  
 
Pour mémoire, la Cour de cassation a tranché dans un arrêt du 16 juin 2020 que l’ordonnance adaptant la procédure pénale du 25 mars 2020 s’applique à toutes les détentions en cours ou débutant à compter de son entrée en vigueur, à savoir le 26 mars (Cass. crim., 16 juin 2020, n° 20-81.911, P+B+I, v. Placement en détention provisoire : attention à l’application dans le temps de l’ordonnance adaptant la procédure pénale, Actualités du droit, 17 juin 2020).
 
Ces mesures dérogatoires au droit commun « apparaissent proportionnées à la situation sanitaire du pays et poursuivent l’objectif de limiter tout contact pour empêcher la dissémination de la Covid-19 au sein de la population » souligne la chambre. De plus, ces prolongations sont de plein droit, « c’est à dire automatiques », donc le juge n’a pas la faculté de statuer en application de l’article 145 du Code de procédure pénale.
 
Ainsi, les juges du second degré déduisent que :
- le JLD ne pouvait maintenir le débat dès lors que sa saisine était devenue sans objet ;
- il ne pouvait statuer sur la détention de la personne sans excéder l’étendue de ses pouvoirs.
 
Un pourvoi est formé par le mis en examen qui critique l’arrêt en ce qu’il a constaté que sa détention provisoire avait été prolongée de plein droit de six mois en application de l’article 16 de l’ordonnance.
 
La Cour de cassation va censurer l’arrêt de la chambre de l’instruction le 29 septembre 2020. Elle rappelle que :
- l’article 5 de la CEDH suppose que lorsque la loi prévoit la prolongation d’une mesure de détention provisoire, au-delà de la durée initiale déterminée, l’intervention du juge judiciaire est nécessaire comme garantie contre l’arbitraire ;
- l’article 145-2 du Code de procédure pénale prévoit qu’en matière criminelle, « la personne mise en examen ne peut être maintenue en détention au-delà d’un an », sous réserve des dispositions de l’article 145-3 du même Code, le JLD pouvant prolonger la détention pour une durée qui ne peut être supérieure à 6 mois par ordonnance rendue après un débat contradictoire ;
- l’article 16 de l’ordonnance n° 2020-303 du 25 mars 2020 prévoit que les délais maximums de détention provisoire sont prolongés de six mois en matière criminelle dans la limite d’une seule prolongation au cours de chaque procédure. 
 
Cet article 16 qui contient des règles dérogatoires « ne saurait s’interpréter comme faisant obstacle à l’exercice de ses compétences par le juge des libertés et de la détention dans des conditions conformes aux seuls textes du Code de procédure pénale ». La chambre de l’instruction, saisie de la question de la prolongation de la détention provisoire, aurait dû se prononcer sur la nécessité du maintien en détention provisoire de l’intéressé.
 
La Haute juridiction rappelle alors que la prolongation sans intervention judiciaire de la détention provisoire est régulière « si la juridiction qui aurait été compétente pour prolonger la détention rend, en matière criminelle, dans les trois mois de la date d’expiration du titre ayant été prolongé de plein droit, une décision par laquelle elle se prononce sur le bien-fondé du maintien en détention » (Cass. crim., 26 mai 2020, n° 20-81.910, v. Prolongation de détention provisoire de plein droit : la Cour de cassation circonspecte, Actualités du droit, 28 mai 2020). Ce contrôle a lieu lorsque la juridiction compétente statue sur la nécessité de cette mesure.
 
Ainsi, il résulte des pièces de la procédure que le JLD s’est prononcé sur le bien-fondé du maintien en détention provisoire de l’intéressé par l’ordonnance d’appel du 31 mars 2020 et si ce dernier « ne saurait ainsi être considéré comme détenu sans titre, il convient néanmoins, pour garantir l’effectivité du droit d’appel de l’intéressé, d’ordonner le renvoi de l’affaire ». L’arrêt de la chambre de l’instruction est donc cassé et annulé.
 
 
Source : Actualités du droit